Un dimanche matin comme les autres, je suis réveillée, j'ai préparé du café et juste lorsque je m'installais pour siroter ma drogue quotidienne, j'ai entendu des hurlements qui venaient de la concession voisine. La boisson chaude que j'aime tant est soudain devenue bien amer, car j'ai tout de suite compris le motif de ces cris. Ma voisine préférée venait de perdre sa mère.
Je savais que ça allait arriver. Les deux jours précédents, la mère a souffert le martyr. Elle a perdu beaucoup de sang et elle ne pouvait même plus s'asseoir. Elle avait mal partout. Cette femme souffrait depuis 1 an et demi. Sans arrêt. Elle avait attrapé une bactérie. Quelque chose qu'on aurait soigné super rapidement au Canada. Malheureusement, son cas s'est aggravé. La famille a attendu avant d'aller à l'hôpital. Payer l'équivalent d'un dollar pour prendre le bus et se rendre en ville est déjà une grosse somme pour eux alors imaginez pour les médicaments! À l'hôpital, on n'a rien trouvé… Alors, la famille s'est tournée vers les médecines traditionnelles. Ils ont amené la mère chez un charlatan (médecin traditionnel, un peu sorcier) et celui-ci a charcuté la mère. Il l'a «opéré» à froid et dans des conditions pas hygiéniques. Les plaies se sont infectées et la femme s'est retrouvée dans un vrai hôpital (qui ressemble plus à une clinique provisoire). Là-bas, on l'a soignée. Ensuite, elle est rentrée à la maison, elle a pris des médicaments super couteux pendant trois semaines et elle est retombée malade. Ses plaies se sont réinfectées et l'infection s'est propagée au reste du corps. Un matin, la femme a commencé à saigner du nez et comme la famille était à cours de moyens, ils n'ont pu que la regarder dépérir. Après de longs mois de souffrance, elle a finalement rendu l'âme.
Les cris de ce fameux dimanche matin ne m'ont donc pas trop surprise. J'ai tout de suite deviné ce qui s'était passé et je suis directement allée chez eux. J'ai trouvé ma voisine assise dans un petit coin. Un groupe de femmes l'entourait. Elle était inconsolable. Elle pleurait, elle criait et elle chantait. On aurait dit qu'elle avait perdu la tête. Elle n'arrêtait pas de dire des choses dans sa langue. Je ne comprenais rien, mais c'était tellement triste.
Au début, nous n'étions qu'une dizaine de femmes assises par terre, devant la case de la mère. Peu de temps après, le défilé des pleureuses a commencé. Elles arrivaient à tout moment en pleurant plus fort que les précédentes. Celles qui étaient déjà présentes les accueillaient aussi par des sanglots et des chants mélancoliques. Parfois, certaines se jetaient et se roulaient dans le sable en hurlant leur douleur. Immédiatement, des vieilles venaient les relever et criaient pour qu'elles se calment. À la fin, personne n'était calme et tout le monde pleurait.
Les hommes, plus tranquilles, étaient assis ensemble sous un arbre, un peu plus loin. Ils parlaient à peine et ne bougeaient pas trop. Quelques-uns creusaient un grand trou à côté de la concession. Juste derrière ma maison...
La mère est morte vers 8h. À 10h, on l'a enterrée à côté de sa maison. Avant de la mettre en terre, un prêtre est venu dans la concession. En 10 minutes, une centaine de personnes se sont rassemblées pour une courte cérémonie. Une fois la prière terminée, on a enveloppé le corps dans un tapis de paille et on l'a emporté dehors pour le poser dans le trou. Il y a eu d'autres prières et les hommes ont recouvert le corps avec de la terre.
Ensuite, les gens sont retournés chez la défunte. Le deuil a duré trois jours. Le spectacle des pleureuses a duré trois jours. Heureusement les soirs, l'ambiance était plus sereine. Les voisins et la famille se réunissaient pour chanter des cantiques jusqu'à l'aube. C'était beau à voir et à entendre.
Ici, tout le monde est toujours en deuil. Depuis mon arrivée, une vingtaine de personnes de mon entourage ont perdu la vie. Je n'exagère pas. La plupart de ces décès sont dus à des maladies qui, selon moi, seraient rapidement et facilement soignées au Canada. Il y a aussi de nombreux cas de mortalité infantile et beaucoup d’accidents dus à la négligence.
Ici, les gens semblent accepter facilement la mort. «C'est Dieu qui décide» disent-ils souvent. Des fois, je me demande pourquoi ce Dieu est aussi cruel avec les gens de l'Extrême Nord. J'ai du mal à imaginer qu'on puisse s'habituer à perdre les gens qu'on aime. J'ai du mal à comprendre qu'on puisse facilement accepter de devenir orphelin, accepter de perdre ses propres enfants, accepter de voir mourir celui qu'on aime.
Ce jour-là chez ma voisine, mon amie, j'ai beaucoup pleuré. J'ai pleuré un peu la mort de sa mère et beaucoup l'injustice de la vie. J'ai pleuré sur l'inégalité des chances, sur ce fossé qui existe entre les riches et les pauvres. C’est comme s'il y avait deux catégories d'êtres humains. Une catégorie qui vit relativement bien et une autre qui doit accepter les pires souffrances. J'ai pleuré de rage. La vie est tellement injuste.
Merci Stéphanie, j'ai pleuré avec toi:) C'est très vrai ce que tu dis et dès fois je ne comprends pas comment on en est arrivé là. Le changement se fera mais ça prendra du temps. Il faut d'abord éveiller les consciences des habitants du Nord, les pays industrialisés pour qu'on comprenne que si nous vivons aussi bien c'est parce qu'il y a une misère humaine ailleurs. J'espère que tu arrives à respirer un peu de bonheur malgré tout.
RépondreSupprimerLe rituel du deuil a quelque chose de libérateur malgré tout. Mais j'étais étonnée par un truc : ta communauté est à majorité musulmane non? est-ce qu'ils enterrent leurs morts suivant la tradition musulmane?
Pour le reste....merci Steph, j'adore te lire! Prends soin de toi. Grosses bises!
P.S : je ne sais pas si tu as suivi un peu ce qui se passe au Canada...on va peut-être se débarrasser de Harper....ou on risque de l'avoir en majoritaire! Est-ce que tu vas voter?
My condolences Stoofy. Life is unfair indeed. Don't lose heart, at least you're trying to help in whatever way you can. I hope you and the community find happiness again soon.
RépondreSupprimerLa justice et l'injustice sont des idées bien humaines, la vie n'en a rien à faire... Les inégalités existent depuis toujours ; depuis bien avant le colonialisme. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Être soi-même juste et bon, mais surtout accepter sans pour autant être indifférent. La mort, c'est la fin d'un cycle et heureusement qu'elle est là, sinon, nous serions tous des morts-vivants et ça ne m'enchante pas plus ! Ça prend l'hiver pour avoir un été.
RépondreSupprimerCourage.
Great, I never knew this, thanks.
RépondreSupprimergeneric nolvadex
Très beau texte Stéphanie. Je me rappelle bien ta voisine qui fait le bilbil. Dis-lui que je lui envoie mes condoléances. "Wurreke"
RépondreSupprimerSerge
Merci de partager....tu écris avec tes tripes...
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